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Un salarié est licencié pour faute grave en raison d’un comportement agressif à l’égard de certains salariés en horaires d’équipe d’après-midi, cela manifestant par des menaces, des remarques des obligeantes, des intimidations et des propos violents au sein de l’entreprise où il faisait régner un climat de peur.
Le salarié conteste, avec succès dans un premier temps, son licenciement sur le fondement de l’absence de recevabilité de la preuve, considérant que les deux constats d’audition anonymisés produits par l’employeur n’étaient pas recevables et que ce dernier ne fournissait pas aucun autre élément de preuve.
La Cour de cassation se prononce pour la recevabilité de témoignages anonymisés de salariés, au regard de l’article 6, § 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale garantissant le droit à un procès équitable.
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la nouvelle construction jurisprudentielle sur le droit de la preuve, faisant suite en particulier à un arrêt relativement récent (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 21-20.308) dans lequel la Chambre sociale, faisant application des principes édictés par la CEDH en matière pénale, a reconnu au visa de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme que « si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».
La même solution a également été reprise dans un arrêt relatif à un salarié protégé (Cass. soc., 18 octobre 2023, n°22-10.032) qui a relevé que le témoignage anonymisé était corroboré par d’autres éléments, dont l’audition du témoin en question par l’inspecteur du travail ayant autorisé le licenciement, qui en connaissait donc l’identité.
Dans l’arrêt du 19 mars 2025, la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence d’autres éléments permettant de corroborer des témoignages anonymisés et de permettre au juge d’en analyser la crédibilité et la pertinence, il appartient à celui-ci d’apprécier si la production du témoignage anonymisé porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, « en mettant en balance le principe d’égalité des armes et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
En l’espèce, il a été relevé que les témoignages anonymisés étaient corroborés par d’autres éléments permettant d’en apprécier la crédibilité et la pertinence :
▪️ Ils avaient été portés à la connaissance du salarié ;
▪️ Ils avaient été recueillis par huissier -officier ministériel assermenté- dont les procès-verbaux font foi jusqu’à preuve du contraire ;
▪️ L’identité des salariés ayant témoigné était connue par l’employeur et l’original des constats comportant leur nom était tenu à la disposition des juges (il n’y avait donc pas de doute sur l’existence même des témoins) ;
▪️ Le salarié licencié avait déjà été affecté à une équipe de nuit pour un comportement similaire à celui reproché ;
▪️ Les attestations révélaient de surcroît la peur de représailles exprimée par les témoins qui avaient demandé à l’huissier de préserver leur anonymat et de censurer une partie de leurs propos afin qu’ils ne permettent pas leur identification.
La Cour de cassation reconnaît ainsi que l’employeur était tenu d’agir sur le fondement de l’article L. 4121-1 du Code du travail en vertu de son obligation de sécurité afin de préserver la sécurité mentale et physique de ses salariés, non seulement en licenciant l’intéressé mais aussi en les protégeant en leur qualité de témoins. Son obligation était donc double et ne lui laissait pas d’autre alternative que de produire en justice des témoignages anonymisés. On retrouve la justification à l’atteinte portée aux droits de la défense exigée par la jurisprudence européenne.
📌 Cass soc. 19 mars 2025, n° 23-19.154